Alice, celle qui vomissait des mots. (3)

La suite des crayonnés avec le début et les textes en prime. Bon ça n'a rien à voir avec la mise en page finale...

La première fois, je marchais dans cette rue là. Un peu sophistiquée. Avec ses boutiques chiques. Celle où y’a toujours des boites à récupérer, les jours des poubelles. Le regard aux aguets, épiant les pavés.

Et là, mon nez m’a apostrophé. Il a ramené mes yeux devant moi, puis à ma gauche, puis tellement derrière que j’avais mal au cou. Mes pieds l’ont soulagé en faisant demi-tour. Elle marchait. J’avais pas vu son visage, mais je savais que ça venait d’elle. Cette odeur. Pas de celle que chacun dégage naturellement. Un peu ronde, piquée. Pas un parfum. Une odeur particulière. Trouée, désordonnée. En deux étapes. Même trois, puisqu’il ya celle où je la suis.


Elle entre au GB, j’y vais aussi. J’me rapproche d’elle au moment où elle passe le tourniquet. Ronde, piquée. Mon nez en est plein. Elle sait où elle va. Trouée, désordonnée. Elle avance sans hésiter. Je vois ses cheveux noirs relevés, qui s’échappent de son nœud rouge. Elle a un collant rouge aussi peut-être. L’intensité des effluves qu’elle dégage varie en fonction de sa vitesse, des virages. Mes pieds ont des surprises qu’ils ne gèrent pas spontanément. Les surgelés. Elle s’arrête. Moi aussi mais eux pas tout de suite (mes pieds). On est proches. Mon nez est plein. Elle ne me remarque même pas. Je pose les yeux sur la vitre transparente du congèle en inspirant un grand coup. Ronde, piquée. Elle repart. Moi aussi. Trouée, Désordonnée. Cette fois, je reste en bout de rayon. Elle est devant le ketchup. Ma main attrape quelque chose. Je butte sur un vieux au ralenti. D’où il sort celui là ? Il est large et maussade. Elle disparaît.


Je m’élance jusqu’à l’autre bout du rayon. Rencontre un parfum infâme, et sa tête fardée. Où elle est maintenant ? Je tourne à gauche. Les boites de conserve. Elle file tout droit vers la caisse. Evidemment, y’a pas de queue.

- … Le plus rouge mademoiselle Alice ?

- Je suis pas encore sûre. C’est la dernière marque qu’il y a à essayer ici.

- Vous avez essayé le Tabasco ?

- Nan. J’aime pas ce qui est trop piquant.

- Bon, comme vous voudrez. Trois euros quatre vingt deux s’il vous plait.

Ronde, piquée. Je pose mon prétexte sur le tapis qui fait avancer les choses. Elle donne de la monnaie.

- C’est juste.

Du ketchup et une boite de poissons panés. Voila tout ce qu’elle a pris. Son visage lisse. Ses grands yeux.

- Au revoir mademoiselle Alice.

- Au revoir.

Trouée, désordonnée. Mon nez est plein. Elle s’éloigne.

- Un euro et cinquante centimes monsieur s’il vous plait. Ceux là sont en promotion.

Elle disparaît. Le type de la caisse a les yeux qui se noient sous la graisse de ses pomettes. Il me sourit. Je viens d’acheter un ouvre boite.


La deuxième fois, c’était dans la même rue. Je venais de trouver la boîte idéale. Rouge, carrée, profonde, épaisse. Mes yeux étaient encore à l'affût, ils se battaient contre les jambes des passants, y'en avait trop à cette heure.

Ronde, piquée, trouée, désordonnée BAM ! En plein dans mon nez !


- Pardon… En chœur.

Elle sort du GB, pressée. Elle va disparaître avec son poisson pané et son ketchup.

- Ali… Mademoiselle Alice.

Elle s’arrête net, se retourne. Ses grands yeux me recouvrent en une seconde.

- Tu t’appelles bien comme ça ?

Ils se plissent.

- Qui te l’a dit ?

Mes doigts commencent à s’entretuer. Je m'approche. Ronde.

- Le monsieur à la caisse.

Ma main droite a le dessus très vite. Piquée.

- Il te l’a dit ?

C’est normal je suis droitier.

- Nan il te l’a dit à toi.

Mon majeur et mon index gauche agonisent. Trouée. Elle recule. Piquée.

- J’veux dire… Il t’a appelée comme ça, l’autre jour… J'ai acheté un ouvre boîte.

Elle pose les yeux sur ma trouvaille, elle secoue la tête. Piquée, ronde. Absente.


Je bouge un peu mes doigts. Mon majeur et mon index gauche reprennent de la vigueur. Je marche tout droit en plissant les yeux pour la retrouver dans la foule. Mon regard attrape enfin ses ballerines rouges. Ses pas sont empressés. Elle tourne à gauche, au coin. Mes pieds accélèrent, ils tournent à gauche, au coin, juste à temps pour que le bruit d’un claquement de porte arrive à mes oreilles. Après quelques façades, je me retrouve face à une porte rouge vernie, qui donne l’impression d’être en plastique. Sur l’interphone, y'a un seul nom qui peut lui appartenir : « Sol A. ».








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