Je suis sans papier

Je suis arrivée à Bruxelles, sans papier. Pour me belgiser, il faut que j'aille au service des étrangers de ma commune. C'est un bureau où il y a deux guichets. Un pour "U.E., U.S.A., JAPAN, KOREA, CANADA"; l'autre, c'est "Hors U.E.", le reste quoi.

Il y a deux files bien distinctes à ce bureau, du coup.

Juste avant moi, au guichet "U.E., U.S.A., JAPAN, KOREA, CANADA", il y avait deux étudiantes à l'ULB, qui venaient de Lyon. Elles étaient là pour renouveler leurs cartes. Elles râlaient parce qu'on osait leur demander un bulletin de notes, prouvant qu'elles avaient passé leurs examens. Elles étaient pas contente.


"Nan mais sérieux, c'est abusé!"

"Ouais, carrément!".


Pendant ce temps, au guichet d'à côté, "Hors U.E.", un type fort bronzé, avec un français fort aléatoire, se faisait engueuler comme un fort vieux sac à merde parce que, bah oui, forcément, il avait pas bien compris, ce qu'il devait ramener comme papier.

Quand mon tour est venu, j'ai dit


"Bonjour, je voudrais m'inscrire et refaire ma carte, je ne suis plus étudiante, je suis à la recherche d'un emploi"


On m'a dit


"Ok, pas de problème. Ramenez, deux photos, une pièce d'identité, 23,50€, un contrat de travail et vous aurez votre carte pour cinq ans."


Je connais quelqu'un, qui est arrivé en Belgique aussi sans papiers. C'était il y a deux ans. Il attend toujours ses papiers. Lui, il a une carte orange, qu'il doit faire tamponner tous les mois à la commune. Comme ça, s'il se fait arrêter, il pourra prouver que le royaume belge a connaissance de sa présence sur le territoire, et qu'il est en attente. Qu'il est pas clandestin quoi. La durée de son attente dépendra des accords pour la régularisation qui sont contestés fort souvent, de critères forts précis, de la chance aussi peut être, ou d'une magouille fort sournoise, comme un mariage en blanc ou sans amour. D'ailleurs, s'il aime vraiment, il devra le prouver.

Il a pas le droit de travailler, donc il peut pas avoir de contrat de travail qui lui donnerait accès à la régularisation. Justement parce qu'il est sans papier.


Moi, je suis arrivée de France.


Lui du Niger.


Moi, si je reste, c'est parce que j'aime bien Bruxelles, ma vie elle est ici quoi. Et puis, c'est facile, j'ai déjà trouvé un bon travail, deux même.


Lui, s'il s'entête, c'est parce que lui aussi il veut avoir une chance dans cette Europe qu'on décrit partout là bas comme le lieu du salut et de la réussite. A la télé, dans les journaux, partout, on dit que l'Europe c'est merveilleux. S'il attend à Bruxelles, c'est parce qu'en France, c'est pire. S'il s'entête, c'est parce que s'il rentre sans pouvoir y retourner en Europe, s'il est expulsé quoi, on le traitera de minable. Les plus sympas diront qu'il a pas eu la chance. Il ne peut même pas leur expliquer que pour lui, ici, c'est la merde. Qu'en Europe, les gens s'en foutent et jugent. Lui, s'il attend, c'est aussi parce qu'il veut être libre d'aller et de voyager où il veut. Comme moi. Comme les gens qui viennent de "U.E., U.S.A., JAPAN, KOREA,CANADA". Du coup, il attend. Il ne peut plus rentrer au Niger sous peine de ne plus pouvoir revenir. Il attend.

En attendant, il sort dans les bars, il rencontre des gens. On s'est rencontrés là.


http://www.youtube.com/watch?v=LBDU6XtAoWk&NR=1

http://www.youtube.com/watch?v=4-t6-XY7C7A&feature=related



2 commentaires:

  1. http://www.lemonde.fr/opinions/article/2009/12/30/comment-j-ai-perdu-mon-identite-nationale-par-michka-assayas_1286018_3232.html

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  2. De nouvelles merveilles, de nouvelles merveilles!!

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