Parfois

Parfois, quand je parle et que ça ne m'étais plus arrivé depuis un moment, ma voix me fait penser à une voix enregistrée. Comme si elle ne m'appartenait pas. Pire, comme si elle ne sonnait pas comme le moment. Elle sortirait d'ailleurs, d'un autre moment.

Parfois, en Belgique, quand on est dans un train et qu'on doit descendre, disons, à Tournai, on apprend à un moment que la gare de Tournai ne sera plus desservie par ce train. Alors on se dirige vers un contrôleur pour lui demander quoi faire, voire même si ce n'est pas une blague. Et on apprend que, non, ce n'est pas une blague, et que, désolé, on ne sait pas quoi vous dire.
Parfois aussi, quand on est sur le quai, on attend que le train qui doit partir dans 2 min s'ouvre pour y monter. Et la, on le voit partir, vide et fermé. Sous nos yeux, il s'en va, sans qu'on ait pu monter dedans. On se regarde tous, avec incompréhension, du coup.
Parfois, la SNCB crée des relations éphémères entre les gens.

Parfois, quand je vais à Ciney, après avoir passer Namur, je regarde le paysage vert et vallonné par la fenêtre du train. Et là, je m'imagine quand je serais grande, vivant dans une maison quelque part dans les Ardennes, avec ma famille. On aurait un potager, des poules, et tout autour, des espaces pour que mes enfants puissent être des enfants.

Parfois, quand Nina Simone envoie "Wild is the wind", je m'imagine en train de voler au dessus de la campagne. J'ai même pas froid, le vent est doux. Je tente une descente en piquet sur la montée du piano pour raser le sol et remonter au dessus des nuages sur les dernières syllabes.

Parfois, quand une bagnole de flics passe en hurlant, j'ai l'impression de perdre quelques neurones. Un jour que je marchais dans la rue, je disais ça à une oreille. Un homme qui marchait derrière m'a répondu "Il doit pas vous en rester beaucoup des neurones si vous vivez à Bruxelles depuis longtemps!"

Parfois, à la banque, quand une vieille femme sans dent vient interrompre l'échange humain qu'on a avec le guichetier, c'est comme un indice narratif dans une bonne histoire. Ça veut dire que, plus tard dans l'histoire, on va retrouver cette vieille femme sans dent et que là, elle jouera un rôle déterminant pour la suite. Par exemple, on va la recroiser nonchalamment et se rendre compte qu'elle vient de bloquer la seule machine dont on avait besoin. Pas une des deux qui permet de retirer de l'argent, non, la seule qui permet de faire un versement. Et là, on sera face à une histoire qui fonctionne bien. On va même se rappeler les détails de sa toute première apparition. On va la revoir, s'inquiétant de toutes ses dents manquantes quand elle a dit "J'ai laissé ma carte dans le distributeur, je fais comment?"
Parfois, la vie c'est une bonne histoire.

1 commentaire: