Sophie batifole avec un accordéon

Une rue pavée, briquée, presque peuplée. Comme un lundi matin quoi. Les âmes qui s'y promènent ont du temps sans vraiment en vouloir. Y'a des vitrines, des portes, des fenêtres, des poteaux, des lampadaires éteints, et au coin, y'a Sophie.

Sophie, elle se balance. Sophie, elle batifole avec un accordéon. Elle se meut. Elle le porte. L'accordéon batifole avec Sophie. Il la pousse, l'emporte. Il est très exigeant avec elle.

Ensemble, ils composent un être étrange. Tout chancelant, plein. Qui crie, qui sautille. Porté par un déséquilibre. Un combat s'engage. Une danse rythmée de sursauts en sursauts. Sophie lutte pour le posséder. Ils tournent, s'arrêtent, reprennent, tombent, remontent. L'accordéon possède Sophie. Elle le tient plus près. Il lui prend ses pieds. Ses yeux ne voient que lui. Son souffle n'est que pour elle.

Ensemble, ils ne se rendent pas compte du spectacle qu'ils offrent. Des regards effrayés qui assistent à leur ronde. Ces regards qui ne se détachent pas, qui suivent Sophie. Elle les divise, les détachent de leurs âmes glacées. Elle les pousse même jusqu'à la fascination.

La danse s'emporte plus encore. Elle s'emplie d'une frénésie toute morcelée. L'implosion a lieu. Elle éclate. La ronde se jette, s'emparant des restes de raisons débordées. Les regards sont pris. Tout entier, ils appartiennent à Sophie. Sophie appartient toute entière à l'accordéon. Il batifole avec Sophie. Il est vainqueur. Voleur d'un moment. Arracheur de ces âmes et de ces corps.
La rue pavée, briquée est peuplée d'hystérie. Une chorégraphie déambule le long de ses vitrines, pénétrant les portes, s'insinuant à travers les fenêtres, entourant les poteaux, contournant les lampadaires éteints. Jusqu'au bout de leur souffle les corps se démembrent.

La danse ralentit enfin, le froid reprend ses droits. Peu à peu, la douceur du soulagement s'installe. les visages se secouent, laissant tomber les derniers morceaux de frénésie sur le sol.

La danse s'arrête. Les regards reprennent leurs chemins. S'unissent avec leur rassurante résignation. Tout est en ordre, les victimes sont relâchées. Sophie, elle chancèle. Elle secoue, elle revient à elle. Ils sont de nouveau deux.

La rue pavée, briquée est maintenant dépeuplée. Y'a les vitrines, les portes, les fenêtres, les poteaux, les lampadaires éteints. Et au coin, y'a Sophie, qui s'en va son accordéon sur le dos.


2 commentaires:

  1. Je prend pas souvent le temps de lire, et c'est dommage.
    Je me rattrape là, et j'aime beaucoup.
    T'écris vraiment bien!
    La musique, rien de mieux pour s'oublier et se perdre loin, ailleurs.

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