La petite Mamie (2)

Voici la suite de la petite nouvelle.
Je remets le début pour vous le remettre en tête.



"Une petite femme. Une petite mamie, pas trop vieille. Avec son petit chignon gris et ses petites robes en laine tissées de scènes colorées. Dessus, on peut assister à une montée aux pâturages, à une nature morte, à un envol d’hirondelles. Cette petite mamie elle crée ses décors et s’habille avec.

Elle habite avec sa famille, toute sa famille. Il y a son mari, un papi tout mince et tout sérieux. Un genre d’ascète qui ne donne et ne prend que ce qu’il faut, jamais plus. Il sourit et se fâche juste assez, jamais plus.

Il y a leur fils. D’une trentaine déjà bien dégarnie. La vie s’occupe tout le temps de lui, et souvent, il en oublie de s’occuper du reste.

Il y a sa femme, un soleil aux cheveux d’or, qui sourit, comprend et aime. Elle saupoudre sa lumière d’un humour ravageur.

Et il y a les trois enfants. Une grande Sophie, un moyen Arnold et un petit Rufus. Eux, ils n’ont rien d’autre à faire que d’être des enfants. Ils s’émerveillent, jouent, se chamaillent et aiment tous les adultes qui les entourent.

Trois filles, quatre garçons, une famille, dans une grande maison. A trois étages, un pour chaque génération.

Au rez-de chaussée, il y a papi et mamie qui m’aiment plus les escaliers. Au dessus d’eux, les parents qui les aiment de moins en moins. Et au deuxième étages, les enfants qui les transforment chaque jour. En tapis rouge de star, en passerelle dangereuse, en nuages qui emmènent vers le ciel…

Trente-deux escaliers, trois salles de bains, trois wc et deux cuisines. Deux cuisines, bien différentes...

La première est toujours propre. Chaque chose y est à sa place. Quelle que soit l’heure de la journée, elle pourrait être prise pour une cuisine d’exposition comme celle que l’on trouve dans les grands magasins. Même le vent d’un repas ne soulève pas une petite nuée de désordre. Dans les placards aussi, tout est à sa place. On n'y retrouve que le nécessaire, jamais trop. Un corps a-t-il besoin de sucreries, de gâteaux ou de chocolat ? Non ! C’est du superflu ! Et on ne peut en trouver dans cette cuisine là. Certainement pas !
Cette cuisine là, elle a un roi. Ce roi, c’est Papi, qui par sa sagesse sauve leurs deux corps, à Mamie et lui, du danger des produits toxiques. Ce roi, il préserve leur équilibre et leur longévité. Et si la reine s’en plaint parfois, c’est qu’elle ne voit pas à quel point ces mesures lui seront bénéfiques, plus tard. C’est qu’il est important de ne pas se laisser prendre par les faiblesses des plaisirs éphémères.

La deuxième cuisine est un peu comme un chantier. On y trouve toujours les indices d’une recette en construction ou de ses vestiges passés. Les papilles peuvent se rappeler des saveurs vécues ou anticiper les futures en fouillant le plan de travail qui, çà et là, révèle ses merveilles. Les placards de cette cuisine là regorgent de trésors. Ils sont pleins de surprises et de sourires. De couleurs, de boîtes et de matières. On en pousse à l’entrée pour en découvrir toujours plus cachés derrière.
La reine de cette cuisine là est une magicienne. Elle prépare les repas comme on fabriquerait une potion magique. La reine, c’est Maman. Elle saupoudre, teste, elle exagère et mesure. Au début de chaque repas, elle attend malicieusement, les yeux plissés, le coin des lèvres retroussé, la réaction de ses cobayes. Son mari et ses enfants lui répondent chacun à leur manière. La plupart du temps, c’est l’étonnement, la surprise, la joie qui creusent leurs visages et ferment leurs yeux pendant qu’ils mâchent, dégustent ou goûtent. Mais parfois, la reine a tellement exagéré, ou tellement peu saupoudré que leurs traits se plissent d’écoeurement. Ceux de Sophie, restants toujours polis.

Il y a très peu de communication entre ces deux cuisines, et chacune respecte son maître. Il reigne même un esprit fairplay entre le Papi et sa bru. L’un ne juge pas l’autre, ils se vouent respect et compréhension mutuels.

La seule qui trouble cet ordre, cet accord tacite, c’est la petite mamie. Elle, se sent trompée, injustement punie par la rigueur de son roi. Elle mène en secret une résistance dont, seuls les enfants, avaient détecté les traces… "

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